Riches de leur imaginaire puisé dans l’Aubrac et le végétal, les cuisiniers de Laguiole ajoutent à leur répertoire une écriture autour du grain apportant une tonalité inédite à leur cuisine de l’essentiel.
Michel et Sébastien Bras ont trouvé leur inspiration pour ce nouveau lieu dans l’histoire extraordinaire de l’édifice élevé en 1763, originellement « Halle aux blés », dédié au commerce du blé et autres céréales ou légumineuses, comme le rapporte Arthur Young dans son récit en 1789 : « Dans l’arène, que de pois, de fèves, de lentilles on y vend. Dans les divisions d’alentour, il y a de la farine sur les bancs. On passe par des escaliers doubles, tournant l’un sur l’autre, dans des appartements spacieux, pour mettre du seigle, de l’orge, de l’avoine ».
Les cuisiniers souhaitaient insuffler à la Halle aux grains une cuisine dans laquelle grains, graines, semences de tous les pays et de toutes les familles, légumineuses, céréales, oléagineuses, ombellifères, apporteraient leur tonalité. Leur travail minutieux a commencé par un inventaire de ce patrimoine gustatif si riche. « Nous avons accueilli dans notre nouvel alphabet culinaire plus d’une cinquantaine d’éléments : amarante, azuki, kamut, fève, luzerne, pois en tous genres, fonio, millet, orge, lin, cumin, lupin… », détaille Sébastien Bras. « Il a fallu nous approprier le grain et mieux le comprendre. Nous l’avons goûté, fait germer, grillé, soufflé, infusé, fermenté et cuisiné de mille façons afin de composer cette nouvelle écriture. Au-delà, cela a provoqué de très belles rencontres, avec des céréaliers, artisans, transformateurs“ renchérit Michel Bras.
À quelques exceptions près, comme dans un millefeuille au sarrasin et aux vanilles, volée de ‘grains soufflés’ au poivre de Timut où il est mis en majesté sous 4 formes différentes, le grain n’a pas toujours le premier rôle dans l’assiette. Le plus souvent, il vient épauler un légume, réveiller un jus, animer une farce et sera utilisé comme un condiment ou plutôt…un Niac. Éléments essentiels du vocabulaire des Bras, les Niacs sont ces touches de goût destinées à apporter ce supplément d’intensité qui va secouer les arômes, aiguillonner les papilles ou surligner les matières de mille façons par un trait de contraste ou de texture. Ainsi un miso de lentilles pourra envoûter une pièce de bœuf de race Aubrac, une croûte de cumin torréfié rafraîchir un chou farci, tandis que trois tours de moulin de graines germées étourdiront l’omble des coteaux du Larzac.
« Cueillir et recueillir, au jour le jour, le meilleur de nos régions, le meilleur du monde et cuisiner les grains à tous moments est bien notre ambition » résument Michel et Sébastien Bras. « Nous choisirons de magnifiques produits français, parfois épicés par des clins d’œil au monde, en regard du décor peint de 1889 qui ceint la coupole d’un hommage aux richesses des cinq continents ». Quelques territoires attirent bien sûr l’attention. L’Aubrac, l’Aveyron et ses environs replacent sur la carte Laguiole, Roquefort et Rocamadour pour leurs fromages, le bœuf de race Aubrac ou La Planèze et ses pois blonds. La Bretagne offre son gwell, lait issu de vaches de race bretonne, fermenté au levain. « L’Île-de-France ne sera pas oubliée » rassure Sébastien. Autre engagement fort : priorité aux produits de saison, aux filières responsables, aux producteurs vertueux, ainsi qu’au respect de la biodiversité.
Habités par le territoire de l’Aubrac, les deux chefs nourrissent leurs créations de ce territoire aux cieux sombres et envoûtants, aux plateaux infinis où végétal et minéral s’affrontent dans des paysages d’une rare force. Ils en ont façonné une cuisine tournée vers l’essentiel, pleine d’humilité, qui ne cherche pas à attirer la lumière ou à prendre la pose, « une cuisine du corps et de l'âme, de bon sens, mais aussi une cuisine de liberté qui sait faire place à l'imperfection, au hasard du dernier coup de main. En somme, une cuisine vivante ” confient Michel et Sébastien Bras. Autre héritage de leurs attaches aubraciennes, le végétal qui a pris racine dans leur répertoire depuis longtemps, bien avant la mode du vert, mais sans chasser pour autant les innombrables trésors carnés du terroir aveyronnais. « Nous désirons inscrire cette cuisine, signature de l’Esprit Bras à Paris, en la mêlant à la fabuleuse histoire de la Halle aux grains ».